I Les circonstances et situations d’agressions
D’après Monique Bourdin (Docteur vétérinaire INSERM, consultant des troubles du comportement à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort), « Les accidents par morsures sont essentiellement liés au non-respect du mode de vie de l'espèce . N’oublions pas que« Tout chien pour autant qu’il soit suffisamment stimulé est capable de se battre »(E.Terroni, J.Cattet: « Le chien, un loup civilisé » Editions La Griffe. Collection Des animaux et des hommes, 2013)
L’agressivité n’est pas anormale, c’est un comportement qui fait partie du mode de communication chez le chien. Au sein d’une meute, elle permet de maintenir une cohésion sociale. Tous les chiens peuvent mordre et même si un chien n’a jamais mordu, il pourrait le faire. A l’inverse, un chien qui a déjà mordu pourrait ne jamais recommencer. La raison pour laquelle certains chiens sont très agressifs, alors que d’autres ne semblent absolument pas l’être, s’explique par ce que l’on appelle le seuil de tolérance.
Définition :
Le seuil de tolérance : C’est le seuil au delà duquel un chien réagira face à une situation dérangeante, inconfortable ou lorsqu’il se sentira agressé. Par exemple, un chien qui a peu de tempérament peut se faire bousculer 20 fois de suite sans réagir alors qu’un chien au tempérament fort se servira de l’agressivité dès la première bousculade.
L’agressivité n’est pas antinomique avec la sociabilité. Des chiens très sociables peuvent être très agressifs. En effet, puisque l’agressivité fait partie intégrante de la communication chez cette espèce, un chien agressif n’est pas un chien considéré comme asocial.
Définition :
La sociabilité se définit comme l’aptitude à vivre en société, à pouvoir communiquer
L’agressivité n’est pas une fin en soi mais c’est un moyen, elle sert à :
- Conserver ou acquérir un statut social. Un chien va se servir de l’agressivité pour contrôler ce qui lui donne du pouvoir, et le pouvoir reste sa quête principale.
- Se défendre en cas d’agression, de peur, lorsqu’un chien est blessé ou qu’il se sent diminué.
- Attraper une proie, c’est ce que l’on appelle l’instinct de prédation.
- Défendre son territoire.
L’agressivité sert donc à régler un conflit hiérarchique, à se défendre, à défendre son territoire et à maîtriser ou tuer une proie.
Le Docteur Deputte (Professeur d’Éthologie à École Nationale Vétérinaire de Maisons Alfort) fait une distinction entre agressivité et prédation. La différence fondamentale qu’il souligne réside dans le fait que la prédation sert à amener un tiers à soi alors que l’agressivité sert à repousser un individu.
A Situations génératrices d’agressions
1 ) Le chien qui domine
Les agressions dans ce contexte sont liées au statut hiérarchique que l’on a accordé au chien et qu’il défend. Lorsque le chien possède toutes les prérogatives de dominant et que soudainement son statut est remis en cause. Il va réagir de manière agressive pour conserver ses acquis.

Un chien qui se considère comme le leader de sa meute a la responsabilité de la protéger et de contrôler les interactions entre les individus qui la composent et vis-à-vis des individus qui s’en approche, que se soit à la maison ou à l’extérieur.
Un animal qui domine à la maison voudra également le faire à l’extérieur : plus il a du pouvoir au sein de sa meute, plus il voudra le conserver à l’extérieur.
Exemple :
Monsieur Paul mange un sandwich sur son canapé, Havane, son chien, est couché à ses pieds. Il fait tomber son sandwich entre les pattes de son animal et quand il veut le ramasser, il se fait mordre. Havane mange systématiquement avant les repas de son maître. Il pense avoir le contrôle de la nourriture est lorsque Monsieur Paul a voulu récupérer son sandwich, son chien l’a mordu pour l’en empêcher. Havane a ainsi défendu son statut de dominant en empêchant un subordonné de vouloir lui prendre la nourriture qu’il avait entre ses pattes. Les deux erreurs de Monsieur Paul sont de nourrir son chien avant lui et de le laisser se mettre à ses pieds lorsqu’il mange quelque chose.
2 ) Un statut ambigu
Un chien qui a un statut hiérarchique ambigu peut mordre pour définir son rang et essayer de gravir, ou défendre, un échelon hiérarchique. Il mordra pour établir des statuts qui ne le sont pas encore.
Exemple :
Léo est un chien qui est autorisé à monter sur le canapé, mais pas sur le lit de ses maîtres. Il s’agit de chiens qui, par exemple, sont autorisés à monter sur le canapé (ils dominent) et qui mordent parce qu’on souhaite les faire descendre du lit (ils sont alors dominés).
3 ) Le chien qui est dominé
Lorsqu’un chien a toujours été dominé il peut aussi vouloir prendre le pouvoir, à n’importe quel âge. Il peut alors se mettre à menacer ses maîtres, ou vouloir mordre dans des circonstances pour lesquelles il était jusqu’à présent soumis.
4 ) Après la puberté d’un chien
Après leurs premières chaleurs, les femelles entrent de façon soudaine dans une hiérarchie d’adulte. Elles vont donc défendre subitement le statut hiérarchique qu’elles auront pensé avoir acquis ou agresser pour prendre un nouveau statut. On note un pic d’agressivité chez les femelles après leurs premières chaleurs.
Chez les mâles, les tentatives d’affirmation se font à plusieurs reprises durant la croissance, environ tous les 3 mois. Elles correspondent à des montées de testostérone. A l’âge de la maturité sociale, entre 18 et 36 mois, le chien défendra avec plus d’acharnement le statut qu’il aura acquis. C’est également l’âge ou il pourrait vouloir prendre le leadership de la meute.

Exemple :
Un chien va menacer son maître lorsqu’il le met sur le dos pour lui brosser le ventre. Un chien peut subitement s’installer sur un lieu de passage et grogner à l’approche de son maître pour vouloir l’empêcher de passer. Il peut aussi menacer son maître qui initie un simple contact physique (le caresser, lui mettre son collier…).
B Victimes des agressions canines
1 ) La famille
La plupart des morsures de chiens sont dirigées vers les membres de la famille et l’entourage proche. Comme expliqué ci dessus, un chien mord au sein d’une meute pour réguler les statuts.
Au sein d’une meute, il y a trois hiérarchies distinctes :
- celle des mâles
- celle des femelles
- celle des chiots
Le chef de meute est généralement un mâle (mais pas toujours). La femelle dominante domine tous les mâles à l’exception du chef de meute.
Dans la famille on distingue 3 groupes :
- Les mâles/hommes
Ils vont être en rivalité directe avec les hommes qu’ils considère comme des mâles. Une hiérarchie, dans l’absolue, doit se définir entre un homme et un mâle qui seront en rivalité particulièrement pour les femelles. Ainsi, si le chien n’est pas clairement dominé, l’homme pourrait se faire mordre lorsqu’il cherche à s’approcher de sa compagne lorsque celle-ci se trouve sur le canapé en compagnie du chien.
- Les femelles/femmes
Elles sont en rivalité vis-à-vis des femmes avec lesquelles elles entretiennent des rapports de force beaucoup plus prononcés qu’avec les hommes. Avec ces derniers, il peut toute fois y avoir des conflits hiérarchiques ponctuels liés à ce qui est vital : nourriture, territoire, etc.
- Les chiots/enfants
On note 2 périodes où le risque de morsure est plus important pour les enfants :
- Lorsque l’enfant se déplace seul
- Durant la puberté.
Une étude menée par le Système Canadien Hospitalier d'Information et de Recherche en Prévention des Traumatismes démontre bien ceci. Tout âge confondu les morsures dirigées vers les enfants de moins d’un an représentent 6,5 % des morsures et ce pourcentage grimpe à 22,1 % pour la tranche des 2-4 ans. Pour les 10-14 ans, ce pourcentage est à peu près similaire puisqu’il est de 23,6 %, puis chute à 5,3 %pour les 15-19 ans.
Les enfants qui commencent à se déplacer seul explorent l’univers qu’ils ont pu observer pendant de longs mois dont le chien fait parti. Un enfant qui grimpe sur un chien, l’attrape, qu’il lui fait mal ou peur, s’expose à une morsure défensive. Au même titre que la mère, les chiens adultes participent à l’éducation des chiots. Un chien adulte à fort tempérament pourra enseigner à un chiot à respecter certaines règles hiérarchiques par l’agressivité. Ainsi, un chien n’acceptera pas toujours un contact initié par un chiot ou qu’un chiot mette une partie de son corps au dessus de l’une des siennes (ce qui est perçu comme de la domination). L’agressivité sert à imposer des limites.
Lorsque les enfants entre à l’âge de la puberté, ils sécrètent de nouvelles hormones. Pour le chien, c’est le signal de l’entrée dans le monde adulte et l’arrivée d’un nouveau rival dans cette hiérarchie. Un chien qui tolérait auparavant certains comportements de la part d’enfants peut ne plus le supporter ensuite et agresser pour imposer de nouvelles limites. Il pourrait aussi mordre pour dominer un nouveau rival
2 ) Les amis et personnes de passage
Les visiteurs qui entrent dans la maison et les passants (lorsque le chien se trouve devant la maison) peuvent être victimes de l’agressivité de l’animal, parce qu’il défend le territoire. Cependant le territoire n’est pas uniquement représenté par le domicile, on parle de territoire dès que l’on s’arrête à un endroit donné, cet endroit sera défendu par ses occupants.
Quelques exemples:
- Une location de vacances
- Chez des amis
- A une terrasse de café
- Sur le lieu de piquenique
- En promenade si l’on s’arrête à un endroit précis…
3 ) Les promeneurs
Toutes les personnes qui se déplacent à une certaine allure : les joggeurs, les cyclistes, les personnes qui font du roller, réveillent l’instinct de prédation du chien. Il peut alors se mettre à leur courir après comme il le ferait pour chasser et maîtriser une proie.
4 ) Entre chiens
Deux chiens se bagarrent pour établir un rang hiérarchique. Quand deux individus de même sexe se rencontre, un statut doit s’établir, ce qui ne conduit pas toujours à une bagarre. Dans la nature, si les chiens passaient leur temps à se bagarrer pour des raisons hiérarchiques, ils n’auraient plus d’énergie pour la chasse et pour défendre leur territoire. Avant d’en venir à la confrontation physique, les chiens se servent de différentes parties de leurs corps (position des oreilles, de la queue, mimiques faciales, etc) pour se soumettre, ou s’affirmer et ne pas transformer chaque rencontre en bagarre.

Lorsque deux individus se rencontrent et qu’aucun des deux ne veut se soumettre, une bagarre se déclenche. Elle prendra fin sitôt qu’un des deux individus se soumet à l’autre. Certaines bagarres peuvent devenir graves si aucun des deux chiens ne se soumet .Lorsque ce cas de figure se rencontre dans la nature, un des deux individus quitte la meute, ce qui n’est pas possible lorsque les deux chiens vivent avec le même maître.
Un dominant va agresser un subordonné pour le rappeler à l’ordre. Un dominé va agresser un dominant pour lui prendre sa place.
Au cours de la puberté, le chiot devient adulte. Il va devoir se positionner vis-à-vis de ses congénères et l’agressivité est un moyen de le faire.
II L’agressivité en tant que pathologie
Ce chapitre est purement informatif et ne sera pas développé puisque face à des chiens qui agressent de façon pathologique, leurs réactions sont largement imprévisibles, difficilement contrôlables et le travail d’un professionnel difficile et parfois impossible. Toutefois rencontrer ce type de chien n’est pas chose courante. L’agressivité prend des proportions démesurées et imprévisibles lorsque le chiot a été mal socialisé et/ou mal imprégné.
On relève 4 motifs d’agressions pathologiques:

- Un défaut de socialisation
La socialisation n’a pu se faire lorsqu’un chiot a été privé de contact avec ses congénères (y compris mère et fratrie) dès les premières semaines de sa vie, ou par un contact interrompu durant une longue période lors des premiers mois. Le chien n’a donc pas appris les codes de communication intra-spécifique et ne peut donc pas communiquer avec ses congénères, sa propension à être agressif augmente très largement.
- Un défaut d’imprégnation
Lorsqu’un chien a été mal imprégné c’est-à-dire que son cadre de vie à l’élevage l’a privé de sollicitations et de stimulations, le chien va développer des comportements de peur dans de multiples situations. C’est ce que l’on appelle le syndrome de privation sensorielle. Le chien peureux à une forte tendance à mordre pour se défendre et il se sentira agressé dans de multiples situations. Les morsures sont dangereuses et provoquent souvent de graves lésions car le chien ne contrôle pas la pression exercée par sa mâchoire. Il n’y a plus ce que l’on appelle la morsure inhibée.
Définition :
Morsure inhibée : c’est le contrôle qu’exerce un chien, de la pression de sa mâchoire.
C'est un des nombreux « auto-contrôles » qu’un chiot apprend lors de la période de socialisation (de 3 semaines à 3 mois). Cette morsure inhibée est le résultat d’un apprentissage effectué par la mère, la fratrie, et les congénères avec lesquels les chiots sont en interaction.
- Un effet de meute
Lorsque les chiens sont en groupe, il y a un effet de meute qui n’arrête pas l’agression d’un individu même lorsque ce dernier est soumis. Ce qui est pathologique, ce n’est pas l’agression de groupe, mais que ce type d’agression bafoue une règle d’or chez le chien : la soumission arrête l’agression.
- Un dysfonctionnement biologique
Il y a des chiens qui agressent suite à un dysfonctionnement biologique ce qui rend les morsures parfaitement imprévisibles. En l’absence de remède thérapeutique, l’euthanasie semble malheureusement inévitable. Seule une consultation vétérinaire permet de mettre à jour ce type de problème.
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